vendredi 9 août 2024

Le grand retour du char Tiger

Il est 9h50 du matin lorsque je me retrouve devant le portail d'un musée, il me faut attendre encore dix minutes avant que celui-ci ne s'ouvre. Il y a déjà quelques personnes de tout âge qui piétinent d'impatience, l'attente délie les langues et les gens parlent entre-eux, même s'ils ne se connaissent pas, la passion commune sans doute. Je suis en Allemagne devant le Panzermuseum de Munster dont l'aspect extérieur ne paye pas de mine. C'est une première pour moi, et pour garder le suspens je n'ai pas lorgné sur internet pour connaitre la collection, je veux que la surprise soit intégrale et elle le sera. 

Le Panzermuseum de Munster

Entrée du Panzermuseum de Munster

Le Panzermuseum se situe à Munster, pas la ville française ni même Münster l'allemande mais Munster une petite ville sans intérêt, une ville garnison avec ses militaires, sa boutique ASMC, son énorme terrain de manoeuvre à proximité. Dire qu'il n'y a rien à y faire, hormis la visite du musée, est un euphémisme. Pour être à l'ouverture, 10 heures du matin, nous avons dormi la nuit en CC devant le musée. J'ai chargé ma femme et ma fille d'une mission très importante, faire longuement les courses tandis que je visitais le musée, chacun y trouve son compte...

Comparer le musée de Munster à celui de Saumur serait une erreur. Le musée des blindés est plus riche, plus grand et aussi plus internationale. La force de Munster ce sont ses blindés allemands, de la seconde guerre mondiale à la RFA et RDA jusqu'au Leopard 2, le même qui est actuellement très apprécié des Lancets et autres Kornets russes.

Le Leopard 2 est la star du Panzermuseum, quelques épaves sont aussi exposées au Patriot Park en Russie

La visite est agréable, il n'y a pas ces maudites cordes que l'on voit à Saumur, nous pouvons donc tourner autour des blindés. Durant la visite, vous pouvez aussi croiser le responsable du musée, Ralf Raths, lui poser des questions et c'est vraiment sympa.
Un autre point qui m'a particulièrement marqué est l'affluence. Le nombre de visiteurs me semble bien plus important que celui de Saumur et pourtant je n'y étais pas un week-end. C'est simple, il était difficile de prendre des photos sans avoir une personne dans le cadre de l'objectif.
Je terminerais par le point négatif : la boutique. Celle-ci ne représente quasiment aucun intérêt, le choix des livres est franchement limité, peu de maquettes hormis celle de la marque Lego, c'est dommage car il y a de quoi faire.
 
Le chouette ticket d'entrée du Panzermuseum qui deviendra un marque page

      

Le complexe du Tiger Ausf E

 
Le musée de Munster a un complexe bien compréhensible. Malgré le fait qu'il ait un très bel exemplaire du Tiger Ausf B,  il n'a pas de Tiger Ausf E.
Pour remédier à ce problème, le musée avait accueilli dans ses murs, d'avril 2013 à décembre 2016, le Tiger du collectionneur privé Christian Oebig. Il s'agissait d'une reconstruction surnommé "Frankentiger" mais après quelques temps, le char avait regagné ses pénates. Pour compenser le manque, une maquette plutôt bien faite fut créée en fibre de verre à l'échelle 1:1, celle-ci est encore en place. Ce "Tiger" fera l'objet d'un article.
Et puis n'oublions pas que le musée de Saumur avait prêté son propre "221" en 2002-2003, une période où il avait d'ailleurs changé de camouflage...

La reproduction du Tiger Ausf E, une belle maquette à l'échelle 1

Le Tiger Ausf E (en bref)

 
Le VK 4501 (P) de Porsche, prototype rejeté mais qui donnera naissance à l'Elefant
 
Plusieurs projets pour un nouveau char de combat ont été présentés en 1941, parmi lesquels se détachaient le VK 3001 (H) de Henschel, le VK 30001 (P) de Porsche de 30 tonnes et le VK 3601 de Henschel, 36 tonnes.  Aucun ne dépassa le stade de prototype et un nouveau projet VK 4501 est ordonné. Le blindé devra faire 45 tonnes et être équipé du canon 88 mm.

Deux prototypes sont présentés à Adolf Hitler, le jour de son anniversaire, le 20 avril 1942. Un Porsche et un Henschel, les deux modèles à tourelle Krupp armé du canon KwL L/56 de 88 mm.
Jugé trop compliqué, le projet Porsche est rejeté mais son étude est retenue pour la création du lourd Jagdpanzer "Ferdinand" du nom de son créateur, Ferdinand Porsche, le blindé s'appellera finalement Elefant.
C'est donc Henschel qui remporte le contrat en août 1942. Le nom officiel du blindé lourd est : Pz.Kpfw. VI Tiger Ausf H1 puis Pz.Kpfw Tiger I /Ausf E, la production est lancée en août 1942 et se terminera en août 1944. Au total 1354 exemplaires sortiront des usines.

Le VK 4501 (H) de Henschel deviendra le fameux Tiger après quelques améliorations

Le Tiger est motorisé par un Maybach HL 210 P45 puis à partir de mai 1943 par un Maybach HL 230 P45. C'est un moteur 12 cylindres de 650 chevaux à 3.000 tr/mn (700 chevaux pour le HL 230), sa boite de vitesse est une Maybach Olvar 40-12-16 à 8 vitesses avant et quatre arrière.

Avec ses 57 tonnes tout plein fait sa vitesse maximale sur route est de 45 km/h et 20 km/h en tout-terrain pour une autonomie de 195 kilomètres environ. Il consomme tout de même entre 500 et 900 litres d'essence au 100 km suivant le terrain.

La production commence en août 1942 pour se terminer en août 1944. 1 354 exemplaires sortiront des usines.
 
Le Tiger apparait rapidement sur le théâtre d'opération durant le siège de Leningrad fin août 1942, ses débuts sont bien laborieux, il faut dire que le terrain marécageux n'est pas le terrain de jeu du Tiger qui souffre aussi de sérieux problèmes techniques.
Pour les Soviétiques, l'arrivée du Tiger en Russie est passée totalement inaperçu jusqu'en novembre 1942, lorsque les Anglais demandent des informations au GABTU KA sur un mystérieux "Pz.Kpfw VI" qui apparait sur une liste qui a fuité d'Allemagne. 

Le premier exemplaire capturé intact par les Soviétiques l'est le 18 janvier 1943, lors d'un assaut raté autour du village ouvrier n°5 sur le front de Leningrad au sud du lac Ladoga. Pris sous l'artillerie ennemie, le char sort de la route et reste coincé dans un trou de tourbe. Le Tiger Nr 100 du s.Pz.Abt 502, surnommé "Elephant" par Russes, est abandonné sans être sabordé par son équipage qui est pris sous le feu des mitrailleuses soviétiques, ils finiront par rejoindre les lignes allemandes.
Dès le 20 janvier, Le Tiger se rend par ses propres moyens dans la gare la plus proche où il est expédié à Kubinka (près de Moscou) pour y être étudié et testé. Les tests balistiques sur le matériel soviétique commenceront dès avril 1944.
La 1.Kompanie du s.Pz.Abt 502 comptait neuf Tiger Ausf H1, Werknummer 250 002 à 250 010, le Nr 100 était le 250 009. Le 18 janvier, un autre Tiger Ausf H1 fut capturé, il s'agissait du Nr 121 (250 004) qui avait le moteur cassé et son radiateur hors d'usage, à sa décharge il était en cours de réparation lorsqu'il tomba aux mains des rouges. Lui aussi rejoint le NIBT de Kubinka, en avril 1943 il sert de cible pour l'étude balistique, il sera totalement détruit. 
  
Le Tiger Nr 100 de la 1./s.Pz.Abt 502 sur le front de l'est avant sa capture. La Rommelkiste est située sur le côté gauche de la tourelle

 

Le Tiger est là 

Un Famo tire le Tiger lors des Militracks à Overloon

Pour 2024, les choses changent et c'est le retour du char mythique au Panzermuseum.  Après un bref passage au Militracks à Overloon aux Pays-Bas, le Tiger arrive au musée en juin 2024. Mauvaise nouvelle, il s'agit encore d'un prêt d'une durée de deux ans, 2024-2026. 

J'ai de la chance, puisque je n'avais fait aucune recherche sur internet, je ne savais même pas qu'un Tiger était exposé de façon temporaire, je m'attendais à voir simplement la maquette. Alors oui, je suis tombé pile-poil au bon moment et d'un coup j'ai vite compris l'impatience de certains Allemands devant le portail du musée.

Le camion amène un joli cadeau, un véritable Tiger Ausf E 

Si le passé militaire du Tiger Ausf E de Saumur est connu, celui de Munster l'est aussi  puisque ce char, sous sa forme actuelle, n'a jamais combattu.

Il s'agit du deuxième Tiger de Christian Oebig et donc ce n'est pas le même qui fut prêté en 2013. Grâce à C.Oebig, il existe maintenant 11 Tiger sur notre bonne vieille planète, sur les 1347 produits.  Il s'agit là encore d'une reconstruction où "seuls" les 2/3 du char sont d'époque. C'est un assemblage de plusieurs épaves qui elles, ont vraiment combattu. Certaines pièces viennent de France et plus particulièrement de la poche de Falaise, du musée britannique de Bovington etc, le reste est de la reconstruction. Certes l'acier n'a peut être pas la même composition mais les formes, dimensions et poids sont respectés.

Certains diront que cette reconstruction n'a pas la même valeur qu'un Tiger original, mais combien de chars se sont vus réparés sur le front avec une tourelle empruntée à un autre, un canon ou bien même les chenilles, moteur et transmission ?
Et puis la reconstruction existe depuis longtemps dans le domaine automobile ou aéronautique sans que cela pose de problème. Alors si les puristes font la moue, les autres s'en contentent, avec raison d'ailleurs car nous pouvons retourner le sujet dans tous les sens, original ou pas, il est en bien meilleur état que celui de Vimoutiers...D'ailleurs quand on connait la triste histoire du Tiger Normand on se demande bien pourquoi il n'avait pas été prêté aux Allemands, cela l'aurait au moins protégé du pourrissement.

Le Tiger est encore en phase de reconstruction, son intérieur est toujours vide, la moitié des pièces a toutefois été trouvée. Il n'est pas encore motorisé, la chose est prévue mais cela demandera du temps et de l'argent. 

Maintenant faisons le tour du Tiger

Le Tiger est dépourvu de pâte Zimmerit
 
L'atelier en charge de la reconstruction n'a pas été avare en chenilles, la caisse et la tourelle sont plutôt bien protégées.


Les chenilles de combat apportent un plus indéniable au look déjà ravageur du Tiger

Si il n'y avait pas une (fausse) patine le Tiger fait un peu "sorti d'usine" avec sa couleur sable et son absence de zimmerit. La déco est un peu simple. 


 

La tourelle

Pour l'instant la tourelle est dénuée de numéro. La tourelle qui pouvait être actionnée manuellement ou hydrauliquement grâce à une pédale pouvait faire une rotation à 360° en 60 secondes, les blindés modernes ont fait d'énormes progrès depuis !

 
L'ergot est un point de fixation qui sert a levé la tourelle lorsque celle-ci doit être retirée de la caisse

La Rommelkiste, le coffre fixé derrière la tourelle, est présente et participe à la ligne générale du char. La trappe d'accès s'appelle une Einsteigluke en allemand. Elle a vu le jour à l'été 1943 et se montre bien pratique pour charger les obus. 

Le masque du canon de 88 Kwk 36 est particulièrement épais. En 2023 (si c'est le même) il était recouvert de Zimmerit

Le frein de bouche du célèbre 88, combien a t-il fait de victimes ?


Les chenilles

Les chenilles de combat font 725 mm de large, les connaisseurs remarquent le type Christie. Le démontage d'un galet pouvait être particulièrement pénible.

L'avant de la chenille gauche, les galets sont dépourvus de caoutchouc "Continentale"

Le Tiger a gardé la terre d'Overloon dans ses chenilles

L'arrière de la chenille droite avec son galet de tension

L'arrière

Les échappements disposent de leurs protections qui ont l'air authentiques




La caisse

Notez la traverse soudée supportant les maillons de chenille, une pièce absente sur les Tiger de Saumur et Vimoutiers. Celle du Tiger de Bovington est un modèle différent. Ce support pouvait être installé par les mécaniciens de l'Abteilung. 

La protection de la fente de vision du conducteur, Fahrersehklappe, est impressionnante

Un numéro a été gravé à l'arrière gauche du Tiger. Il doit s'agir d'une plaque d'acier neuve

Nelle vue sur la soudure de la caisse

Voilà, j'ai fait le tour du panzer. Pour ceux qui en ont les moyens ainsi que le temps, vous avez jusqu'en 2026 pour le voir à Munster, après il sera trop tard.

Nous pouvons lire

La saga du Tiger de Michel Estève aux éditions Heimdal

Le magazine britannique Classic Military Vehicle numéro 268 de septembre 2023 avait écrit un court article sur le mystérieux Tiger d'Overloon 2023, celui exposé à Munster.

 

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