lundi 23 septembre 2024

J'ai visité l'intérieur du sous-marin U-995 de Laboe


Dans un article précédent, j'avais fait le tour extérieur du sous-marin allemand de la seconde guerre mondiale, le U-Boot U-995 à Laboe. Cette fois-ci, jeton en poche, je rentre directement dans le sous-marin.
Malgré le fait que la visite ne s'est pas faite un week-end et que la matinée était pluvieuse, il y avait tout de même un peu de monde pour visiter le bateau. Le public était principalement composé de badauds qui ne s'intéressaient pas aux détails, y compris le périscope (!), une visite au pas de course.  Pour ma part, lorsque je me suis engouffré dans le U-995, "Ouah !" la joie intérieure m'a envahi, j'ai eu l'impression d'être dans le film "Das Boot". J'ai pris mon temps, quitte à bouchonner derrière et pas de "Entschuldigen Sie" comme la bienséance le voudrait puisque de toute façon les Allemands ne connaissent pas ce mot. 
 

Le U-Boot VII C/41

 
Le sous-marin U-995 à Laboe

Le U-995 est un sous-marin allemand de type VII C/41. Il s'agit du Unterseeboot le plus populaire de l'histoire de la Kriegsmarine (la marine de guerre allemande) puisqu'il y a eu plus de 700 exemplaires fabriqués. Depuis le premier VII A sorti en 1933, il y a eu plusieurs évolutions, le U-995 est un modèle C/41. Ils ont été produits entre 1940 et 1945 et certains ont été équipés d'un schnorchel dès 1944. Le modèle exposé à Laboe est le seul exemplaire de ce type restant au monde .
 
Le U-995 est motorisé par deux moteurs diesel délivrant chacun 1400 chevaux soit 2800 chevaux, certaines sources indiquent aussi 3200 chevaux. Pour la navigation sous-marine, il a aussi deux moteurs électriques développant 750 chevaux chacun, soit 1500 chevaux. Le U-995, durant sa carrière allemande, n'a jamais été équipé d'un Schnorchel.
 
Son armement est constitué de 4 tubes lance torpilles à l'avant, et d'un seul à l'arrière, diamètre 533 mm. Capacité maximum 14 torpilles
Un canon de 3,7 cm Flak M42U et deux Flak 38 de 20 mm, le menace aérienne étant de plus en plus présente au fil des ans.
 
La coque pressurisée du sous-marins était divisée en six compartiments
- salle des torpilles avant 
- Quartier des officiers et compartiment à batteries
- Zentral, ou salle de contrôle en français. C'est la salle la plus résistante à la pression.
- Quartier des sous-officiers et compartiment à batteries, cuisine
- Salle des machines diesels
- Salle des machines électriques et torpille arrière

Il y avait cinq réservoirs à ballast. Pour la répartition des masses, un point très important dans un U-Boot, il y en avait un au deux extrémités de la coque, deux dans les renflements latéraux et un dernier sous le  Zentral.
On comptait aussi 3 réservoirs à carburant diesel. Son rayon d'action est théoriquement de 15 170 km mais cela dépendait des conditions de mer.
 
Son équipage se compose de quatre officiers et de quarante sous-officiers et marins. Le maximum dans ce type de sous-marin est de 52 hommes.
 

L'histoire du U-Boot

 
L'équipage du U-995 en Norvège en août 1944

L'histoire détaillée du U-995 est disponible ici, mais je vais faire un petit résumé. Le sous-marin a été fabriqué au chantier naval de Hambourg et son premier commandant est le Kapitänleutnant Walter Köhntopp. Après la période d'instruction à Kiel, le U-995 prend la direction du Norvège en 1944 où après plusieurs missions Walter Köhntopp n'a toujours pas attaqué le moindre convoi, ni coulé le moindre bateau. Il est mis à pied et remplacé par le jeune Oberleutnant zur See Georg Hess, qui se montre bien plus efficace, quelques cargos et navires de guerre soviétiques en font les frais. C'est la fin de la guerre, le U-995 reste à la base sous-marine de Trondheim, les sous-mariniers sont sains et saufs mais prisonniers. Quelques années plus tard, notre submersible reprend du service dans la marine royale norvégienne. Le début des années 60 sonne le temps de la retraite pour le U-Boot. Après divers négociations, le sous-marins est cédé à la RFA qui le dépose sur la plage de Laboe, le U-995 est devenu un magnifique témoin de la guerre sous-marine du III.Reich.       

La visite

Comme beaucoup de sous-marins, l'Espadon de Saint Nazaire ou bien le Redoutable de Cherbourg, la visite commence par l'arrière et se termine par l'avant. J'introduis le petit jeton dans l'appareil et je pousse le portique. Il y a la queue c'est pénible, ma fille me suit, elle prendra aussi des photos pour le blog, ça l'amuse.

Nous empruntons la passerelle et entrons par l'arrière du U-995

La visite de l'intérieur est "découpé" en deux articles.  Je vais commencer par l'arrière avec les compartiments moteurs (électriques et diesels), la cuisine et le carré des sous-officiers. L'article est illustré de quelques photos tirées du film "Das Boot", d'un écorché permettant de situer la salle dans le sous-marin et de très belles vues 3D (lien en fin d'article) permettant de comprendre l'agencement des salles.


La salle torpille arrière et moteurs électriques

 
Dès l'entrée, une porte percée dans la coque, nous sommes dans la salle des moteurs électriques où il y a aussi un tube lance-torpille arrière, diamètre 533 mm pour "anguille" type G7e. A peine à l'intérieur, je me cogne la tête contre un des multiples tuyaux ou manivelles qui jalonnent le sous-marin, me voilà prévenu.

Agencement de la partie arrière du U-995 avec le tube lance-torpille

Lors de la préparation de la mission du U-Boot, les longues torpilles -qu'il fallait graisser régulièrement-  étaient acheminées depuis l'avant du sous-marin jusqu'à l'arrière, ce qui n'était pas une mince affaire on s'en doute d'autant plus qu'il pouvait y en avoir trois. 

   
L'unique tube lance-torpille arrière. Attention la tête, dans un sous-marin il y a des tuyaux et des manivelles partout. 
 
Les cadrans, en haut à gauche du tube, indiquent le positionnement du gouvernail de profondeur
 
La photo montre l'extrémité arrière du U 995, à gauche le tube lance-torpille

Levons les yeux au plafond avec cette chaine qui servait pour la manutention de la torpille


 

Les moteurs électriques

Il y a deux moteurs, un moteur pour chaque hélice. Naturellement, dans cette salle l'atmosphère était plus vivable que dans la salle des moteurs thermiques. C'était moins bruyant, mais il y faisait chaud c'est souvent dans ce compartiment que le linge y était étendu sur un fil pour y être séché. Les 124 batteries sont placés sous le plancher, une partie sous le carré des sous-officiers et la cuisine et une autre sous le carré des officiers, voilà pour la répartition des masses.

A droite la bouche pleine,l' E-Obermaschinist Ernst Herweg 

Huit personnes s'occupaient des moteurs. L'E-Obermaschinist Ernst Herweg était responsable de l'ensemble de la salle électrique, il avait sous ses ordres deux subalternes qui s'occupaient des moteurs bâbord et tribord qui eux même avaient cinq hommes du rang. 

Le compartiment électrique en vue 3D nous permet de comprendre l'agencement du U-995. A gauche nous voyons le ballast arrière, le tube lance-torpille. A droite, la porte est ouverte sur la salle diesel. 

La salle électrique est celle qui ressemble le moins à celle du film "Das Boot" ou bien même aux actus allemandes. Il y avait trois types de moteurs électriques, les AEG et Siemens et BBC d'où divers type d'implantation, cela explique donc ceci.

Scène issue du film "Das Boot", le compartiment des moteurs électriques, à l'arrière plan nous voyons les panneaux de contrôle. Au premier plan, sur les côtés du chef mécanicien, les moteurs électriques avec les leviers pour les mettre en marche ou les arrêter. L'agencement du U-995 est différent.

Un des moteurs électriques, sur le U-995 il est placé directement sous les panneaux de commandes et en partie caché car la partie principale n'est pas visible.  C'est la partie visible de l'iceberg si l'on peut dire.
 
Le panneau de commandes du moteur bâbord

Le panneau de commandes du moteur tribord, nous remarquons le moteur électrique en dessous

Différents manomètres, ne me demander pas l'utilité

Le variateur de vitesse

V pour volt, A pour Ampère

Le maschinentelegraph du compartiment électrique est sur la position "stopp". Notez le E-Maschinen, un "E" très à la mode chez nos constructeurs de voitures. Rouge d'un côté et vert de l'autre, y compris pour l'ampoule.

La salle des moteurs diesels

 

La salle des moteurs diesels est située entre le compartiment des moteurs électriques et la cuisine. Il y a une porte hermétique à chaque extrémité de la salle.

Le responsable des moteurs diesels du U-995, Reuter

Un officier-mécanicien, un Oberleutnant supervise neuf personnes. Quatre à cinq mécaniciens sont en permanence dans la salle très bruyante, on ne s'entend pas, et odorante avec un mélange d'huile et de diesel, il y fait aussi très chaud. C'est le pire endroit dans un U-Boot, une horreur.

Plongée ! Les moteurs diesels sont arrêtés en urgence, les mécaniciens tournent les manivelles qui ferment les vannes d'admission d'air et d'échappement. Les électriques situés dans la salle à côté prennent le relais. La scène est tirée du film "Das Boot"

La salle des moteurs avec une peinture très particulière pour prévenir de la rouille, même les pièces en cuivre sont repeintes. Le résultat est horrible d'autant plus que les couches se superposent au fil des "entretiens préventifs".  Ma fille était dans le cadre, désolé

Le maschinentelegraph pour le moteur bâbord est de couleur rouge, à sa gauche le compte-tours pour le régime moteur en marche avant (noir) et arrière (rouge) à sa droite les indicateurs de température de chaque cylindre, la limite est fixée à 480°C ! 

 

Levier d'arrêt des moteurs

Le moteur diesel bâbord, nous voyons le ressort de soupape, l'accessibilité mécanique est assez aisé

Le maschinentelegraph pour le moteur tribord est vert et fabriqué par la firme Hagenuk de Kiel, qui existe toujours.

Le moteur diesel tribord

L'alimentation en diesel pour l'un des deux moteurs.

Divers cadrans pour surveiller la bonne santé d'un moteur, la lubrification en huile etc. Ce panneau est situé en hauteur juste à l'entrée de la salle électrique.

La cuisine du Smut

 


La minuscule cuisine jouxte la bruyante salle des machines diesels. Il n'y a qu'un seul cuisinier pour tout le U-boot, il est surnommé le "Smutje"ou "Smut", l'équivalent de notre "cuistot". Peter Feigenbutz ne chômait pas puisqu'il faillait nourrir les 45 hommes qui travaillent 24 heures sur 24. Pour les corvées, éplucher les patates etc, des membres d'équipage lui donnent un coup de main, même chose lorsqu'il s'agit de faire la vaisselle.

L'agencement de la cuisine en 3D. Sous le plancher, une partie des 62 batteries.  

Au début de la mission, il y a des aliments frais qu'il faut consommer en premier à cause de la chaleur et de la forte humidité qui règne dans le bateau, les fruits et légumes pourrissent vite dans ces conditions. Lorsque tout est bien moisi mais souvent manger à temps, il reste les boites de conserves, fruits en sirop, légumes et viandes.

La petite cuisine a tout de même une hotte. A droite, le cuistot du U-995, Peter Feigenbutz

Trois plaques qui ressemblent à des billigs, la barre soudée évite aux ustensiles de se renverser en cas de roulis ou de plongée soudaine.

Tirée d'un Die Deutsche Wochenschau, le "Mutje" prépare le repas sur le plan de travail. Contre la cloison nous voyons quatre robinets d'arrivée d'eau.

Le plan de travail et les 4 robinets qui ont beaucoup souffert. Il y a de l'eau de mer chauffée, de l'eau douce filtrée et celle destinée à la vaisselle.

Dans le compartiment cuisine il y avait aussi un WC.  Le U-boot comptait deux toilettes pour 45 membres d'équipage...

...mais souvent les deuxième toilettes étaient sacrifiées pour laisser place à la nourriture, du moins dans les premières semaines. 

L'espace de vie sous-officiers

 


 

Nous sortons de la cuisine et nous nous trouvons dans le carré des sous-officiers où il y règne une odeur...de cuisine, forcément. Il y a huit couchettes qui sont occupées par roulements, les hommes travaillent 6 heures. 

Les sous-officiers avaient leur espace à eux, ils y dormaient et y mangeaient. A gauche, la cuisine.

Le sous-marin compte 10 Unteroffiziere (Obermaate et Maate). Sur la photo ci-dessous et de gauche à droite :

Le Maat Helmut Lohde, Rudolf Müssener aux électriques, Maat Josef Urbas aux diesels, Maat Erich Sachse, Maat Hermann Zumsteg du Zentral, l'Oberbootsmann Bernhard Knop, Johannes Bittner aux torpilles, le Wachmeister Helmut Behnke, Maat Eduard Malik aux diesels, avec sa Croix de fer et son insigne de combat des U-Boote Joachim Gürke aux transmissions (radio, télégraphe).

Les sous-officiers du U-995, cigarettes à la main, prennent la pose à Kiel

Une partie des batteries est placée sous la cuisine mais aussi sous le carré, il y en a 62. Leur accès se fait par le plancher de la salle des machines diesels.

Scène tirée du film "Das Boot". L'heure du repas a sonné pour les sous-officiers, en arrière plan nous voyons le "Smutje" dans sa cuisine. La lumière rouge indique que les toilettes sont occupées, signe que l'équipage du U-96 n'a pas sacrifié le lieu d'aisance ou que les aliments frais ont déjà été consommés.

Les couchettes supérieures peuvent être rabattues vers le haut, les tables dépliées, la pause déjeuner peut alors commencer. Le Zentral, la salle de contrôle se trouve juste à côté.  

Une barre pivotante protège le marin de la chute en cas de fort roulis. Les nombreux placards peuvent se fermer à clé.
 
De l'autre côté l'agencement est différent et comporte curieusement moins de rangements. Les rideaux manquent à l'appel. 

L'accès à la salle de contrôle se fait par cette écoutille qu'il est difficile de franchir les pieds en avant comme à l'époque, sinon il y a la technique de la galipette mais j'ai passé l'âge. 

Dans le prochain article nous visiterons le reste du U-Boot avec le Zentral (le poste de contrôle), les couchettes de l'équipage, la salle des torpilles et...les toilettes !

Si vous voulez en savoir plus sur les U-Boote

 
Je vous conseille la lecture du Hors-série n°9 du magazine Los ! il y a aussi le livre "Der U-boot- Krieg im Nordmeer" de Eckhard Wetzel.
Pour ce qui est des films, "Das Boot" est entré dans la légende, à voir surtout en version longue et en allemand sous-titré et pour encore plus de réalisme quelques numéros de Die Deutsche Wochenschau disponibles sur le net, le n°599 du 25 février 1942 ou le n°655 du 24 mars 1943.
Et pour l'excellent travail de reconstitution 3D, le site benderartists 
 
Et un second petit souvenir de ma visite...
 
Petit souvenir de la visite du U-Boot U-995

Liens 

L'effroyable naufrage du U-526


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