vendredi 13 septembre 2024

J'ai visité le sous-marin U-995 a Laboe

 
Il y a déjà longtemps, en lisant un numéro de 39-45 magazine (N°116 de février 1996) j'avais appris qu'il y avait un U-Boot sur une plage en Allemagne. Depuis cette découverte, l'idée me trottait dans la tête d'aller le voir un jour puis les années ont passé et malgré pas mal de visites en Europe, je n'avais toujours pas vu le sous-marin.
A l'approche de l'été 2024, je tape du poing sur la table (du moins mentalement), Saperlipopette ! c'est décidé je vais à Kiel, à Laboe n'importe où mais je vais voir le U-Boot. Comme le projet n'emballe pas le reste de la petite famille, je conclue l'affaire avec "mais il y a la mer et une plage là-bas", les sandales, les bikinis sortent des armoires. Je n'avais toutefois pas préciser que la Baltique, pour y avoir déjà goûter il y a longtemps, est particulièrement froide et sur le plan baignade je pensais bien passer mon tour.
 

Se garer et dormir à Laboe

24€ pour 24h le tarif est salé puisqu'il a doublé un mois avant mon arrivée. Vous pouvez néanmoins y dormir tranquille il n'y a pas un bruit la nuit.

Après être passé par la Belgique, les Pays-Bas, affronté les bouchons routiers de Hambourg, traversé un peu Kiel, je suis arrivé à Laboe, la petite station balnéaire située dans le Scheslwig-Holstein, dans le nord de l'Allemagne, pas trop loin du Danemark.
Une fois sur place, j'ai rapidement compris qu'il n'y a que deux façons de garer son CC si l'on veut éviter les problèmes avec la Polizei locale. Payer un emplacement pour trois personnes dans un camping, ce que je n'ai jamais fait jusqu'à maintenant ou bien payer une simple place de parking à 24€ ! à contre-coeur j'ai pris la deuxième solution. Bien que très rudimentaire mais curieusement tranquille la nuit, le parking est très pratique puisqu'il est situé juste à côté du Marine-Ehrenmal et à seulement 150 mètres de la plage où trône le U-Boot
 
Le sous-marin n'est pas si isolé puisque Laboe est une petite ville balnéaire 
    
Le fjord de Kiel d'où partait le U-995 vers la côte norvégienne, au premier plan Laboe et sa plage

La sortie du fjord qui donne sur la mer Baltique, finalement seule ma fille a eu le courage de s'y baigner. De toute façon, même après 50 mètres l'eau n'est qu'à hauteur des genoux d'un adulte.

Le U-Boot VII C/41

 
Le sous-marin U-995 à Laboe

Le U-995 est un sous-marin allemand de type VII C/41. Il s'agit du Unterseeboot le plus populaire de l'histoire de la marine allemande puisqu'il y a eu plus de 700 exemplaires fabriqués. Depuis le premier VII A sorti en 1933, il y a eu plusieurs évolutions, le U-995 est un modèle C. Ils ont été produits entre 1940 et 1945 et certains ont été équipés d'un schnorchel dès 1944. Le modèle exposé à Laboe est le seul au monde de ce type.
 
Le U-995 est motorisé par deux moteurs diesel Krupp délivrant chacun 1400 chevaux. Pour la navigation sous-marine, il a aussi deux moteurs électriques développant 750 chevaux.
Son rayon d'action est théoriquement de 15 170 km mais cela dépendait des conditions de mer.
Son armement est constitué de 4 tubes lance torpilles à l'avant, et d'un seul à l'arrière. D'un canon de 3,7 cm Flak M42 et deux Flak 38 de 20 mm, le menace aérienne étant de plus en plus présente au fil des ans.
 
Son équipage se compose de quatre officiers et de quarante sous-officiers et marins. Le maximum dans ce type de sous-marin est de 52 hommes.
 

L'histoire du U-995


Le sous-marin a été commandé par la Kriegsmarine le 14 octobre 1941 puis fabriqué par le chantier naval Blohm und Voss de Hambourg. Le chantier construisait déjà des sous-marins pendant la première guerre mondiale. Le lancement à l'eau a lieu le 22 juillet 1943 et deux mois plus tard, le 16 septembre 1943, il entre en service sous le commandement du Kapitänleutnant Walter Köhntopp. Le sous-marin est affecté à la 5.U-Flotille de Kiel où l'équipage s'entraine dans la mer Baltique. 
 
Hambourg 1943. Le Kapitänleutnant Walter Köhntopp prend le commandement du U-995

L'équipage du U-995 à l'instruction à Kiel. Remarquons l'emblème du U-boot.

Fin avril 1944, le bateau a ordre de se rendre à Kristiansand au sud de la Norvège. Kristiansad est  un peu comme une station-service, c'est une petite base maritime qui sert à remplir ses réservoirs de diesel, charger des torpilles et reprendre son chemin. Dès le lendemain, le U-Boot doit se rendre à Flekkefjord où il est affecté comme sous-marin de réserve à la 13.U-Flotille de Trondheim.

Le trajet du U-995 du fjord de Kiel au fjord de Trondheim

A la mi-mai, le U-995 avec quatre autres sous-marins doit se rendre dans le secteur de Bergen, il opère dans la Mer du Nord mais le 21 mai il est repéré par l'aviation ennemie. Le sous-marin est pris à partie par un Short Sunderland canadien, un avion spécialisé dans la chasse sous-marine et puissamment armé avec 18 canons ! Le U-995 subit des dégâts et cinq hommes sont blessés, le bateau est contraint de se faire réparer au Stützpunkt Trondheim

Mitraillage d'un U-Boot par un Short Sunderland

Le 30 juin 1944, réparé après l'attaque aérienne, il reprend la mer vers Narvik qu'il atteint le 1er juillet. Deux jours plus tard, il part pour 28 jours de mission, encore une fois il ne fait aucune victime. Le sous-marin fait quelques missions Narvik - Trondheim - Narvik tout en protégeant la cote norvégienne mais nous sommes loin des meutes de loups de l'Atlantique. Il est de nouveau pris pour cible par un B-24 Liberator le 21 juillet, les dégâts sont minimes mais nécessitent un retour à la base quelques jours plus tard, une fuite a été décelée.

Un peu de géographie, le U-995 quitte la base navale de Trondheim pour se rendre à  Narvik plus au nord

Le 23 août, une nouvelle mission lui est ordonné. Il doit récupérer un pilote d'avion à Lödingen et le déposer à Tromsö puis mouiller des mines dans la mer de Pechora au nord de la Russie. Il faut savoir que cette ligne maritime qui passe par le détroit de Kara est largement utilisée par les bateaux soviétiques puisqu'elle va de Mourmansk vers les ports de Dikson, Dudinka et plus loin vers l'est de la Sibérie et même jusqu'à Vladivostok ! Il est courant d'y voir des U-Boote mouillés des mines surtout avant l'arrivée des glaces.
Le U-995 rentre de mission à Narvik le 14 septembre 1944.

Les convois maritimes soviétiques doivent passer par le détroit de Kara et la mer de Pechora pour rejoindre la mer de Barents et le port de Mourmansk. Le fond de la mer de Pechora est de seulement six mètres .


Un commandant peu fiable ?

 
Après 55 jours de mer en quatre missions,  Köhntopp n'a toujours pas coulé un seul navire, ce qui éveille la suspicion de la Kriegsmarine qui le relève de son commandement le 9 octobre 1944 pour "lâcheté devant l'ennemi". Avec l'aide d'un médecin militaire de la base de Narvik, Köhntopp évite de peu la cour martiale (ou le pistolet sur la table). Mis à la disposition de la 13.U-flotille il ne retrouvera jamais un commandement. A l'issue de la guerre, Köhntopp est fait prisonnier. Il part dans un camp en Angleterre puis libéré il revient en Allemagne. Il meurt à Marienthal le 19 février 2000 à l'âge de 89 ans.
 
L'Oberleutnant zur See Hans Georg Hess devient le nouveau pacha du sous-marin. Hess n'a que 21 ans et devient ainsi le plus jeune capitaine de sous-marin de la guerre, toutes nations confondues. 
Hess est né en 1923 à Berlin. En avril 1940, il s'engage comme volontaire dans la Kriegsmarine à l'âge de 16 ans. Il passe deux ans sur différents dragueurs de mines avant d'être transféré dans la U-Bootwaffe en avril 1942. Affecté au U-466 depuis l'automne 1942, il participe alors à cinq patrouilles, principalement dans l'Atlantique Nord (La Pallice) et en Méditerranée (La Spezia) avant que le U-466 ne soit sabordé près de Toulon le 19 août 1944.
 

Oberleutnant zur See Hans Georg Hess

Le U-Boot a repris la mer et les courtes missions se suivent et se ressemblent jusqu'à celle du 30 novembre 1944. Le bateau appareille de Narvik et le 5 décembre il surprend un convoi soviétique dans la mer de Barents au large de Mourmansk.  Le U-995 lance un première torpille contre le "Proletarij" un navire de  fret à vapeur construit en Allemagne en 1905. Le soviet est touché mais ne sombre pas. Le sous-marin allemand qui avait entamé une plongée après sa première attaque réapparait dans la nuit et tire une autre salve de torpilles qui envoie le vapeur par le fond. Il y a 29 morts, les survivants sont récupérés par un sous-marin soviétique. Le U-995 rentre à sa base le 9 décembre.

Si vous voulez ressentir un peu l'ambiance des convois vers Mourmansk, je vous conseille de voir le film "The Artic Convoy" (Konvoi) sorti en 2023, la scène des avions est un peu tirée par les cheveux mais le film est largement regardable. Sinon pour ceux qui ont un plus de temps libre devant eux, il y a le livre "la bataille des convois de Mourmansk 1941-1945" de Jean jacques Antier.

Parti depuis Narvik le U-995 coule le Proletarij au large du port de Mourmansk

Le U-995 fait d'autres victimes. Le 21 décembre, il attaque au canon le "Reshitel'nyj", un petit bateau soviétique de 20 tonnes (loin du destroyer russe qui portait le même nom quelques années auparavant) le soviet chavire après avoir été éperonné par le U-Boot. Il y a 28 victimes pour seulement 3 rescapés.

Le 26 décembre, c'est un chalutier armé soviétique, le "RT-52 Som" (РТ-52 "Сом") qui est frappé par les torpilles, le bateau se brise en deux et on dénombre 31 victimes pour un seul survivant, repêché par le sous-marin allemand. 

Voici le témoignage de l'artilleur Dremin, le rescapé :

« Nous avons quitté le port le 24 décembre. Après le dîner, les marins libérés de leur quart, dont moi, sommes restés dans le carré. À dix heures, une petite corne a retenti. Nous nous sommes levés d'un bond de nos sièges, et dans l'instant qui suivit, l'explosion secoua le chalutier, les lumières s'éteignirent. J'ai heurté la cloison et je suis tombé. Dans la confusion, j'ai eu du mal à sortir sur le pont. La passerelle du capitaine et la salle des radios ont été soufflées. La poupe était suspendue, le navire tombait sur le côté tribord. J'ai pensé à mettre un canot à l'eau. Mais il n'en restait que des débris.
Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans l'eau glacée. Je me suis réveillé et j'ai vu une bouée de sauvetage. Je m'y suis accroché et j'ai regardé autour de moi. Le chalutier avait disparu."

Durant sa carrière avec le U-995, Hess a eu l'occasion de sauver deux marins Russes de la noyade. Ils ont été débarqués à Tromsø.

Le 29 décembre au matin, le convoi KV-37 qui transporte une précieuse cargaison  fait une halte au port de Iokanga avant de reprendre son chemin. Pour s'assurer que des mines n'ont pas été mouillées par des U-Boote, deux chalutiers soviétiques transformés en dragueur de mines, les T-883 et T-887 escortés par le BO-142 sont envoyés en mer pour effecteur un contrôle sur la voie maritime.
Alerte ! A 17h20, le T-887 a détecté un bateau à 7,5 milles nautiques au sud-est de Svyatoy Nos. Au même instant le T-883 est touché de plein fouet, il y a une énorme explosion mais le bateau reste à flot. Les Russes n'avaient probablement pas détecté un second U-Boot dans les parages, le U-995.  Le T-887 et le BO-142 s'empressent de déguerpir sans prêter assistance aux marins. Les secours arrivés plus tard ne découvriront qu'une tâche d'huile flottant sur l'eau. Sur les 49 membres d'équipage du T-883, il n'y a aucun survivant.   

Comme nous pouvons le lire, le commandement de l' Oberleutnant zur See Hans Georg Hess se montre nettement plus efficace que son prédécesseur.

La dernière année de guerre

Le 3 février 1945, le U-995 repart en mission depuis Harstad pour une durée d'un mois. Alors dans son bateau, Hess apprend qu'il est fait chevalier de la Croix de fer (Ritterkreuz des Eisernen Kreuzes), le 11 février.
Le 1er mars 1945, toujours en mission, le bateau est transféré à la 14.U-Flotille basée à Narvik.  
Dès le lendemain, le 2 mars dans l'après midi près de l'île de Kildin, à 3 miles au nord du cap Letinsky dans la mer de Barents, malgré le fait que le U-995 ait été détecté à l'hydroaccoustique et attaqué à la wasserbombe, Hess et son équipage coule le BO-224 un navire de lutte anti-sous-marine de type SC de 105 tonnes pourtant accompagné de deux autres bâtiments de lutte anti sous-marine. Le BO-224 avait été fabriqué au chantier naval Harris & Parsons à Greenwich USA. La mission du navire était de défendre les communications entre la mer de Barents, la mer Blanche et le détroit de Kara, un détroit stratégiquement très important comme je l'ai décrit plus haut.
Selon U.Boat.net, il y a 7 morts et 24 survivants mais selon les archives russes, le bilan s'élève à 33 morts dont le capitaine de corvette Alexei Roshchin, et le commandant du BO-224, le lieutenant Ivan Gaidovshchikov. L'épave du bateau soviétique n'a été découverte qu'en 2016 !
Le U-995 rentre enfin à Narvik le 5 ou 6 mars, les avis divergent.
 
5 ou 6 mars 1945 de retour de mission, le U 995 entre à Narvik après avoir coulé le BO-224. En bas sur le devant du kiosque, le carénage du compas magnétique dans sa forme d'origine qui n'a pas été reprise sur le modèle "Laboe"
 

Pourquoi la 14.U-Flotille ?


Les sous-marins rattachés à la 11.U-Flotille (Bergen) et à la 13.U-Flotille (Trondheim) opéraient principalement à partir de Narvik et de l'Ofotfjord. Avec l'écroulement du front en France, les U-Boote des bases de Lorient, Saint Nazaire, La Rochelle sont transférés en Norvège ce qui nécessitait une réorganisation.
À partir du 15 décembre 1944, une flottille distincte est établie à Narvik, la 14e où est maintenant rattaché le U-995, la zone d'opération étant la mer de Barents et l'attaque des convois de Mourmansk
 
 
 
Le 13 mars, le U-Boot quitte Narvik pour la dernière fois, le 17 un convoi est repéré et un wolfpack de 13 sous-marins est constitué. Le 20 mars, le convoi JW-65 est en vue, le U-995 passe à l'attaque et lance ses torpilles contre le bateau à vapeur américain Horace Bushnell. La salle des machines du vapeur est touché de plein fouet mais le bateau ne coule pas. Il sera finalement remorqué puis échoué. Après la guerre, il reprendra du service avant d'être ferraillé en 1978.
Le 25 mars, le U-995 termine sa mission en arrivant au port de Harstad, dès le lendemain il prend la mer en direction de Trondheim.  C'est sa dernière navigation sous pavillon allemand.
 

La fin 


Alors que le U-711 du Kapitänleutnant Hans-Günther Lange est coulé le 4 mai 1945 à Kilbotn près de Harstad, le U-995 en attente d'un schnorchel est immobilisé depuis le 28 mars à Dora I. Le 7 mai, la base de Kristiansand est libérée. Le lendemain, Hess est à Dora I lorsqu'il apprend la capitulation, l'ambiance est grave, seront-ils livrés aux mains des Soviétiques ? La population de Trondheim se montre menaçante, crachats, insultes, jets de pierres ne sont pas rares envers les allemands qui prennent le risque de se retrouver isolés dans une rue. Pour le U-995, c'est plus simple il reste à quai, il n'est pas sabordé.
 
Dernier rassemblement de l'équipage du U-995 avant la reddition. Ils ont survécu à la guerre c'est le principal.

Le U-995 n'est pas le seul sous-marin restés dans la base de Trondheim, il en reste 13 sur les 97 retrouvés dans les six bases norvégiennes à la fin de la guerre. 1200 onéreuses torpilles sont aussi récupérées dans la base, cela va s'avérer bien pratique pour la suite.
Les U-Boote restés à quai dans les trois plus importantes bases norvégiennes (Bergen, Trondheim, Narvik) ont eu de la chance lorsque l'on sait que sur les 211 sous-marins allemands opérant depuis la Norvège, 110 d'entre eux, soit plus de la moitié, ont été coulés. Sur ces 110 sous-marins coulés, 75 étaient des « pertes totales », ce qui signifie que tout l'équipage a malheureusement péri.
 
Notre U-995 dans Dora I après la capitulation. A ses côtés le U-310, qui avait participé à la dernière  attaque du U-995 en mars 1945 et l'U-315 seront détruits en mars 1947.
 
 

Le sort du pacha


l'Oberleutnant zur see Hans Georg Hess est fait prisonnier et envoyé au camp d'internement  Reservation VI A à Fløan dans le Åsenfjord du Trøndelag, un ancien camp russe sous administration britannique mais géré par les Allemands eux-même ! La discipline y est stricte et militaire, la même qu'en temps de guerre. Certains marins auront droit à la cour martiale et seront passés par les armes de leurs compatriotes.
Si les hommes du rang (Manshaften) sont renvoyés rapidement en Allemagne, ce n'est pas vraiment le cas des officiers qui sont libérés une voir deux années après leurs camarades. Hess est lui aussi libéré et revenu en Allemagne. Il devient avocat pour l'industrie puis auteur du livre "Die Männer von U 995" qui rend hommage aux hommes d'équipage, sorti en 1979. Il décède le 28 mars 2008 non sans avoir vu son bateau plusieurs fois à Laboe.
 
Mars 1945. Hans Georg Hess et sa Ritterkreuz

 

Le U-boot en Angleterre ?

 
Après la fin des hostilités, c'est l'opération Deadlight. Sans vraiment demander l'avis des Norvégiens, les sous-marins allemands sont emmenés vers l'Angleterre et coulés au large des îles Hebrides dès l'été 1945 jusqu'en 1946. Mais ce n'est pas le cas que notre U-995 qui n'est pas en état de prendre la mer, il reste donc à quai à Trondheim où il se fait gentiment oublier...
 
À l'automne 1945, une commission norvégienne a été mise en place pour déterminer si les quinze U-Boot restés au pays pouvaient être restaurés. Quatre sont sélectionnés pour leur qualité, les onze autres sont démontés pour leurs pièces détachées, elles sont stockées à Brakarvågen på Askøy.
Les U-995 U-310, U-926 et U-1202, les seuls rescapés, entament leurs restauration à Trondheim mais finalement les travaux sur le U-310 sont trop conséquents. Dépecé, il est mis au rebut.
 
Les trois sous-marins restants reprennent néanmoins du service au sein de la marine norvégienne. Il n'est pas question qu'ils reprennent leur appellation allemande,  le U-926 devient le KNM Kya, le U-1202, le KNM Kinn et notre U-995 le KNM Kaura (S309). "KNM" étant l'abréviation de "Kongelige Norske Marine" soit "Marine royale norvégienne".
 
L'ex-U-926 effectue sa première plongée sous les couleurs norvégiennes en 1949 avant d'être modernisé. 

En 1950, les États-Unis signe un accord d'aide à l'armement avec la Norvège, l'argent coule à flot et les U-Boote peuvent être modernisés. 
Les ex-sous-marins allemands constituent la classe K, conçue pour avoir la plus grande vitesse et le plus grand rayon d'action en plongée. Pour satisfaire à cette tâche, tous les canons anti-aériens sont supprimés, le kiosque est modernisé mais les équipements radios, sonars restent d'origine allemandes. L'ex-U 995 reprend la mer le 1er décembre 1952 pendant presque dix ans puis le 15 février 1962, il est définitivement retiré du service et stocké à Bergen. Les U-926 et U-1202 sont ferraillés deux ans plus tard.
 
L'ex-U 995 devenu KNM Kaura S309
 

Vers l'Allemagne

 
Les autorités norvégiennes auraient du détruire le U-995 mais c'était sans compter sur la RFA (République Fédérale Allemande) qui espérait pouvoir le récupérer pour en faire un musée. De longues discussions entre les deux Etats avaient déjà commencé depuis quelques années et en 1965, la RFA envoie le bateau "Fair Play II" à Haakonsvern dans le but de remorquer le sous-marin vers l'Allemagne.
 
1965. Le U-995 (KNM Kaura) lors de son remorquage vers Kiel. Cette vue nous permet de voir la modification du kiosque faite au début des années 50.

Le 14 octobre 1965, le U-Boot arrive enfin à l'arsenal naval de Kiel mais pour les Allemands l'heure est aux interrogations, faut il le garder en l'état ou le restauré comme lorsqu'il était sous le pavillon de la Kriegsmarine ? Il y eu de nombreux désaccords, de palabres et finalement la décision est de le remettre dans son état d'origine.
Autre interrogation, faut il le laisser dans l'eau ou l'exposer à terre ? Devant la facture qui s'annonce, les municipalités de Wilhelmshaven et Kiel, deux villes fortement marquées par l'histoire des U-boote, se retirent du projet.  Une association se crée, des donateurs interviennent et l'histoire peut continuer.

Le U-995 en remorquage dans le fjord de Kiel pour son installation à Laboe

Alors qu'il est en réfection à Kiel, en octobre 1971, les autorités norvégiennes cèdent officiellement le sous-marin aux Allemands pour un sous symbolique. Après le creusement d'un canal jusqu'à la plage, il ne faut tout de même pas que le remorqueur s'échoue à 100 mètres de la rive, le U-995 est posé sur la plage de Laboe le 13 mars 1972. Il trône à la sortie du Fjord de Kiel et surtout face au Marine-Ehrenmal.

Le U-995 lors de sa pose sur la plage, les deux portes d'entrée et de sortie sont déjà en place

Le sous-marin U-995 sur la plage de Laboe. L'eau n'étant absolument pas profonde, il a fallu creuser un canal pour amener le U-Boot à sa destination.
 
Le sous-marin U-995 et le Marine-Ehrenmal

Faisons le tour du U-995

Je dois avouer une chose, la vue du U-Boot me paraissait étrangement familière. Lorsque je l'ai vu étendu sur la plage, j'ai vu la maquette qui trône depuis maintenant vingt ans sur une étagère de ma maison ! C'est une sensation très étrange. C'est le première fois que je voyais un véritable U-Boot et pourtant c'est comme si que je le connaissais déjà. Malgré cet air de déjà vu, j'ai le sourire ça y est, le "bateau" est devant moi et il est magnifique car il faut bien l'admettre, un U-Boot a nettement plus d'allure qu'un sous-marin moderne.

Les photos ont été prises le soir de mon arrivée et le lendemain   

La fameuse barrière qui n'autorise aucune chute sous peine de graves blessures, tenez vos enfants loin de cette abomination

Concernant l'extérieur, le U-995 est presque en accès libre, du moins le soir. Une affreuse rubalise a été tirée sur les abords et sur un autre côté il y a une sorte de barrière dentée complètement rouillée et dangereuse pour les enfants et qui n'empêche personne de passer par dessus.  

Le U-995 de toute sa longueur, il fait 67,13 mètres de long.

 
Le U-995 est dépourvu de coupeur de filet que l'on voit sur certains U-Boot notamment celui du film "Das Boot". Nous remarquons aussi sur ce côté l'ancre de marine.

Pour la visite vous entrez par l'arrière et sortez par l'avant, des ouvertures ont été créées dans la coque pour l'occasion.

Vue sur l'arrière avec ses deux gouvernails babord et tribord et ceux de profondeur. Admirons la faible largeur du sous-marin, 6,17 mètres seulement.

La photo a été prise à 19h00 mais le lendemain matin il y avait une grosse affluence. L'antenne grandes ondes part du kiosque à la partie arrière du sous-marin.

Il n'y a aucun tags aucun graffiti sur la coque, autre pays autre moeurs. Nous voyons le câble d'antenne petites ondes qui relie l'avant du U-Boot au Kiosque.


Le U-995 en détail

L'U 995 a été rajouté après son arrivée en Allemagne

L'ancre de marine est situé sur le côté tribord
 

Les trappes d'ouvertures des tubes lance-torpilles sont condamnées mais on devine leurs emplacements par ces deux plaques de métal. Sur ce côté, le U-Boot n'avait pas d'ancre.

Situé à l'avant nous remarquons le gouvernail de profondeur avec son support. La coque compte aussi de nombreuses plaques et rivets

Vue sur le lest situé en bas de la coque avec les valves d'admission du réservoir interne qui sont condamnées

 
Zoom sur le système de propulsion avec le gouvernail babord

Nous voyons l'hélice de propulsion babord avec son axe ainsi que l'un des gouvernails de profondeur. Là encore des orifices de vidange.

Marquage sur l'un des réservoirs de ballast 

Les plaques soudées devant les sorties des torpilles, dommage

L'étrave du U-Boot, à l'opposé des sous-marins modernes

Le kiosque

Sur cette vue de haut nous voyons dans la "baignoire" le périscope d'observation juste derrière lui le périscope d'attaque. En bas sur le devant du kiosque le carénage du compas magnétique. Notons que le kiosque avait été totalement modifié lors de la modernisation du sous-marin, il n'y a avait plus aucun armement anti-aérien et leurs passerelles avaient même totalement disparues.

L'emblème du U-Boot sur le kiosque. Il en a eu plusieurs, à Kiel il portait des anneaux olympiques et le kiosque avait une bande blanche peinte dans la largeur. 

Pour des raisons de sécurité, la visite du kiosque est impossible c'est dommage mais c'est la même chose avec les sous-marins français, Cherbourg, Saint Nazaire, Lorient.

Depuis la baignoire il faut imaginer les hommes de quart jumelles aux mains avec leurs gants et pantalons de cuir, leurs cirés avec le fameux chapeau. La mer du nord et de Norvège n'étaient pas vraiment une destination touristique à la météo clémente. Je ne sais pas si les plateformes pour la DCA sont des pièces authentiques ou des reconstructions. 

 
A cause des conditions climatiques et l'eau de mer, l'armement du U-Boot était démonté et révisé après chaque sortie. Le graissage des pièces était particulièrement rigoureux.

Autre vue sur le canon de 3,7 cm Flak M42 et les deux Flak 38 de 20 mm soit 4 canons. Une puissance de feu très convenable.

Le canon de 3,7 cm Flak M42 

Et pour finir un petit souvenir aimanté du U-995 acheté à la boutique

Dans un prochain article nous visiterons l'intérieur du U-995

Le Stützpunkt Trondheim 

La base navale de Trondheim est située dans un fjord de la mer de Norvège, elle était la plus grande base sous-marine d'Europe du nord. La 13.U-Flotille et donc notre U-995,  y était stationnée. De nos jours, il subsiste encore les bunkers qui protégeaient les sous-marins mais ils n'ont pas été aussi bien "conservés" que ceux de nos bases françaises, je vous conseille de lire : U-Bootbunker de Saint Nazaire.

Mars 1944. Dans des conditions hivernales, le U-959 de l'Oberleutnant Weitz approche de Dora I à Trondheim. Le U-Boot sera coulé en mai de la même année, il n'y aura malheureusement aucun survivant. 

Dora I 

La construction de la base à Nyhavna débute en 1941, elle est confiée à l'Organisation Todt et plus précisément l'Einsatsgruppe "Wiking". L'organisation employait de nombreux locaux et comme pour la construction de la base sous-marine à Saint Nazaire, les employés étaient très bien payés, d'ailleurs à la fin de la guerre il s'est avéré que de nombreuses familles n'avaient plus aucune dette, aucun crédit. 

Dora I est opérationnel en avril 1943. Le U-Boot Bunker a une superficie de 15 000 mètres carré et est constitué de 207 369 mètres cube de béton, un béton livré directement d'Allemagne. Les Allemands se méfiaient de la qualité de la matière première norvégienne qui pouvait être sabotée. L'armature est renforcée de 22 000 tonnes de barres métalliques. Enfin, l'épaisseur des murs va de 2,50 à 10 mètres.

Dora I en phase de construction

Dora I pouvait accueillir 7 sous-marins et en cas d'attaque les alcôves pouvaient être fermées par des portes blindés. Dora avait cinq cales, trois cales sèches à portes hermétiques et pompes permettant d'évacuer l'eau et deux autres humides.

Dans les alcôves, les sous-marins étaient ravitaillés en carburant et munition, la maintenance et les réparations y étaient aussi effectuées, les coques étaient repeintes pour lutter contre la corrosion. Il y avait naturellement des ateliers avec du personnel spécialisé à proximité.

La base sous-marine est devenue une cible stratégique évidente et le 24 juillet 1943, malgré le brouillard, des Boeing B-17 Flying Fortress américains larguent sur la base pas moins de 316 bombes de 250 kg. Il y a des dégâts et des morts militaires et civils, une cinquantaine. Un U-Boot et un remorqueur sont coulés dans le port  mais Dora I n'est quasiment pas touché.

Si l'on examine la liste des vingt bases navales allemandes les plus importantes en termes d'opérations sous-marines, Trondheim arrive en neuvième position, avec 142 patrouilles sous-marines du 19 avril 1940 au 23 avril 1945.

Après la guerre, les Britanniques prennent la décision de détruire complètement Dora I et Dora II tandis que les autorités norvégiennes voulaient les préserver pour y installer leurs sous-marins. Après tout, le Stützpunkt est ultramoderne pour l'époque et surtout il est en très bon état.
Finalement, il est décidé que Dora I sera conservé pour la marine de guerre norvégienne, ce qui se révèle bien pratique pour les occidentaux en ce début de guerre froide. Il restera en service jusqu'à la fin 1949 puis est revendu à des civils quelques années plus tard.  

Finalement au début des années 2000 un centre de stockage d'archives d'état et régionale y est créé, un bowling vient aussi s'y greffer et l'ancienne base ne ressemble plus à rien.

Dora I difficile d'y voir le U-Boot bunker mais si vous êtes observateur vous pouvez voir un morceau du kiosque du sous-marin S300 de classe Kobben posé à l'entrée d'une ancienne alcôve, deuxième en partant de la droite. 

  
L'autre face de Dora I

Dora II

La construction de Dora II a commencé en 1942 mais est resté inachevé. Après la fin des hostilités, il est décidé de raser totalement le U-Boot Bunker. Les travaux de démolition commencent dès 1945. Des cloisons, des murs sont détruits mais l'utilisation de dynamite posent de réelles problèmes aux infrastructures civiles qui souffrent des blasts successifs, beaucoup d'habitants ont leurs fenêtres soufflés par les explosions, les murs tremblent dangereusement. Le sol, lui même représente un danger d'effondrement, après tout la base est dans un Fjord.

Malgré une quantité impressionnante de TNT, Dora II résiste. Chaque jour la facture s'allonge et devient vite exorbitante pour très peu de résultat. Finalement, les Norvégiens abandonnent leur projet de destruction en 1948.
En 1991, une nouvelle tentative est lancée mais vite arrêtée pour des raisons de sécurité de la structure. Aujourd'hui des panneaux rappelant le passé historique du bâtiment sont appliqués sur les murs du bâtiment.

Dora II qui devait être détruit est le mieux préservé, du moins dans son aspect d'origine

Le bunker thermique et électrique

La phase de construction du bunker a été lancée en même temps que Dora II. Sa mission était de fournir de l'électricité et du chauffage à Dora I et Dora II par l'intermédiaire d'un générateur à vapeur dont la matière première, du charbon, était livré par un petit train.  Comme Dora II, le bunker n'a pas eu le temps de rentrer en service avant la fin de la guerre.

Utilisé après-guerre par des entreprises, modernisé par des extensions, il est maintenant loué à des associations.

Le bunker thermique et électrique de la base sous-marine de Trondheim
Le bunker thermique et électrique de la base sous-marine de Trondheim
 

 

Si vous voulez en savoir plus sur les U-Boote

 
Je vous renvoie à l'excellent site de référence uboat.net.
Je vous conseille la lecture du Hors-série n°9 du magazine Los ! ainsi que "la bataille des convois de Mourmansk 1941-1945" de Jean Jacques Antier. Il y a aussi les livres de Luc Braeuer mais cela concerne surtout les U-Boote d'Atlantique.
Pour ce qui est des films, "Das Boot" est entré dans la légende, à voir surtout en version longue et en allemand sous-titré et pour encore plus de réalisme quelques numéros de Die Deutsche Wochenschau disponibles sur le net, le n°599 du 25 février 1942 ou le n°655 du 24 mars 1943 
 
La base sous-marine de Saint-Nazaire


Liens 


4 commentaires:

  1. Merci pour la visite ! Lors de votre séjour en Allemagne en avez-vous profité pour effectuer un détour par Bremerhaven et la visite de l'unique U-boot typ XXI ? Cordialement Christian en Bretagne

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  2. Bonjour Chris, oui tout à fait nous y sommes allés la veille, pour la visite il y avait aussi beaucoup moins de monde, c'était plus agréable. L'article ne sera publié qu'en 2025.

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  3. Très bel article ! Dommage, visiblement une visite de l'intérieur n'était pas possible.

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    1. Bonjour, la visite de l'intérieur est prévue dans un second article.

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