jeudi 28 août 2025

La fabuleuse histoire du Tiger B de Munster

L'année dernière, j'avais inauguré le premier article de la rentrée 2024-2025 avec le Tiger E du Panzermuseum de Munster. Cette fois-ci pour cette nouvelle saison qui commence, je rode autour du très beau Tiger B (ou Tigre B en français) également exposé dans ce musée. 

Présentation du Tiger "121"

Le "121" est un Tiger Ausf B fabriqué à l'usine Henschel und Sohn de Kassel en juillet 1944. Son numéro de châssis est 280101 et celui de tourelle 280110. Sa tourelle, qui est celle d'origine, constitue donc un avantage par rapport au Tiger de Saumur.

Le char a eu une vie opérationnelle assez brève, deux semaines mais son histoire est tumultueuse puisqu'il a été fabriqué en Allemagne, abandonné en France, sauvé par les Britanniques, expédié aux Etats-Unis et enfin revenu en Allemagne, où il se trouve toujours.

Le Panzerkampfwagen Tiger (8,8cm) Ausf B (Sd.Kfz. 182) en bref

J'écris "en bref" puisque HistoReich est un blog et non un site internet spécialisé sur les Panzers. Si vous souhaitez connaitre la pression au sol d'un Tiger (1,02kg/cm2), je vous conseille de lire des livres, et il y en a beaucoup sur ce char, dans toutes les langues possibles. 

Le Tiger B est destiné à remplacer le mythique Tiger E sur les futurs champs de bataille mais avant cela il faut déjà le remplacer sur les chaines de production. Après quelques prototypes, les trois premiers modèles de série sortent de l'usine Henschel und Sohn en janvier 1944 (280001-280003). Ils sont ensuite versés, avec deux autres exemplaires, à la Pz.Kp.(FKL) 316 qui est rattachée à la Panzer-Lehr Division. Malgré la fin de guerre qui s'annonce, les bombardements sur l'usine, la production des Tiger B  s'arrête à la fin mars 1945, après 492 exemplaires officiellement acceptés  par les inspecteurs de la Waffenamt.

Au cours de son existence le Tiger a connu plusieurs modifications, notamment de son système d'échappement, de ses chenilles et de son canon,  qui est passé d'une version monobloc à deux pièces.  Il existait également deux types de tourelles.

Son moteur de 23880 cm3 est un Maybach HL 230 P45 12 cylindres en V à 60° développant 700 chevaux à 3000 tr/mn ou 600 à 2500 tr/mn. Ses  4 carburateurs sont de la marque Solex type 52 JFF II D et le char possède 7 réservoirs à essence pour une capacité totale de 860 litres.

Son canon est le 8,8cm KwK43 L/71 et enfin son équipage se compose de 5 hommes.  

Le SS-Unterscharführer Zahner 

L'histoire du Tiger de Munster est indissociable de celle de son commandant, Fritz Zahner. Avant de devenir chef d'un Tiger, Zahner était dans les Stug, les canons d'assaut, tout comme Michael Wittmann et d'autres membres de la future Abteilung.

Début juin 1944, Zahner est SS-Unterscharführer à la 1.Kompanie de la s.SS-Panzer-Abteilung 101. Le 6 juin, le débarquement a lieu en Normandie. L'alerte est donnée et, dès le lendemain entre 2 et 3 heures du matin la Kompanie roule vers l'Invasionsfront. Zahner et son Tiger Ausf E "133" (3.Zug de la 1.Kompanie) passe par Gournay en Bray, Morgny, Saussay la Campagne, les Andelys et enfin Villers-Bocage où sa Kompanie entre en contact direct avec l'ennemi britannique. 

7 juin 1944. Tiger Ausf. E "133" de Fritz Zahner à Morgny à l'intersection de la D 316 et D 13 durant la montée à l'Invasionsfront. Zahner, panzerkommandant qui porte la casquette, prendra plus tard le commandement du Tiger B "121"  

Après de durs combats, notamment du côté de la cote 112, les trois derniers Tigern opérationnels de la 1.Kompanie sont cédés à la 3.Kompanie, le 3 juillet 1944. Pour les hommes restants, dont Zahner, l'heure est venue de partir pour l'Allemagne et de prendre en main leur nouveau char, le Tiger Ausf. B

Le 15 juillet 1944, l'instruction sur Tiger B des panzermänner de la 1.Kompanie commence à Sennelager, près de Paderborn. Afin de connaître parfaitement leur futur char, les membres d'équipage sont même envoyés à l'usine de Kassel pour participer au montage des chars. 

La 1.Kompanie reçoit 14 exemplaires entre le 28 juillet et 1er août 1944. Les numéros de châssis vont du 280092 au 280112. Le "121" (280101) est immédiatement confié à Zahner. Ce dernier change donc de section et devient par la même occasion le chef de ce 2. Zug.

Invasionsfront !

Fin juillet, il y a le feu en Normandie, Caen est tombé,  il faut donc envoyer de nouveaux renforts avant qu'il ne soit trop tard. Le 5 août, la Kompanie est chargée sur train et, après un  long et pénible voyage, elle débarque au nord de Paris le 18 août.

Le premier contact avec l'ennemi à lieu le 25 août dans l'Eure dans le secteur de Gisors. Le 28 août, le Tiger B "123" du SS-Hauptscharführer Fritz Hibbeler est sonné à Sailly dans le Vexin. Hibbeler est tué, mais aujourd'hui une partie de son char est exposée au musée des blindés de Saumur puisqu'il s'agit de la caisse du Tiger B "300".

Le Tiger B "123" en partie exposé à Saumur partage un point commun avec le Tiger de Munster, les deux viennent de la même section, du même Zug si vous préférez.

Après les combats dans le Vexin, il s'agit dorénavant de passer la Seine. Les troupes américaines avancent inexorablement et sont précédées des Republic P-47 Thunderbolt et des North American P-51 Mustang du XIX Tactical Air Command, le but est d'empêcher les Allemands d'établir une ligne de résistance derrière le fleuve et cela fonctionne. Les troupes allemandes retraitent vers l'est, en direction de la Belgique ou de l'Allemagne, la logistique ne suit plus il y a pénurie de tout et surtout d'essence. La 12.SS Panzer-Division "Hitlerjugend" malgré sa remarquable résistance sur le front est étrillée et doit se réorganiser à Fourmies dans le secteur d'Hirson (Aisne) et recevoir un nouveau lot de Panther, Kurt Meyer raconte :

"Nous empruntons les mêmes routes sur lesquelles nous avons roulé si vite vers l'ouest en 1940. Notre colonne paraît misérable. Des "convois" roulent à travers la nuit. Un véhicule intact doit en remorquer plusieurs autres." 

Si on ne peut pas parler de solide ligne de front dans la région, une résistance avec les unités en retraite s'organise tout de même. 

Le Tiger du SS-Unterscharführer Fritz Zahner a réussi à traverser la Seine. A la fin août, il passe par Marle, Thiernu puis Vervins. Le 1er septembre, la reconnaissance aérienne américaine signale la présence trois chars lourds au sud-ouest de La Capelle. Ces derniers tirent sur les colonnes US, s'agit il des Panthern de la 116.Panzer.Division qui retraitent vers le village  ou bien des Tigern ? 
En tous cas, le "121" n'est qu'à quelques centaines de mètres  de La Capelle lorsque le moteur toussote "die benzineuhr ist auf nul", il n'y a plus d'essence dans les réservoirs et le ravitaillement est impossible. Zahner et ses hommes, résignés, sont contraints d'abandonner le char mais avant, il faut le saborder, car il n'est pas question de le laisser intact entre les mains de l'ennemi. La culasse du canon est endommagé tout comme le moteur. Il faut maintenant partir, et vite, car les premiers éléments de la 3rd Armored Division "Sparhead" vont bientôt arriver. Le "121" blessé, reste au bord de la route. La guerre est finie pour lui. 

L'équipage du "121" est certainement monté dans un véhicule, pas question de continuer le chemin à pieds, c'est trop dangereux. Vervins, auparavant occupé par des éléments de la 12.SS-Panzerdivision "Hitlerjugend", ainsi que La Capelle tombent aux mains des Américains, le 1er septembre.

En deux semaines de combat, la  1.Kompanie a perdu 13 Tigern B, un seul ralliera l'Allemagne.   

Zahner survit à l'Invasion et parvient à rejoindre l'Allemagne. En décembre 1944,  il se retrouve dans les Ardennes durant l'offensive "Wacht am Rhein", avec le Tiger B "113" de la s.SS-Panzer-Abteilung 501

C'est bien beau de dire que le Tiger a été abandonné à La Capelle mais encore faut-il savoir situer le village sur une carte surtout lorsqu'on n'habite pas dans l'Aisne. Le point rouge représente La Capelle, ce qui nous permet de constater que la frontière belge n'est pas si loin  

Dans certains livres il est écrit que Zahner aurait abandonné son Tiger le 5 septembre. Les Américains ont pris Vervins le matin du 1er septembre et  La Capelle dans la soirée, il est donc impensable que le "121" soit arrivé aux abords du village quatre jours plus tard. D'ailleurs la date de l'abandon du "121" est approximative : le 30, 31 août ou 1er septembre ?      

Le Tiger "121" est immobilisé à l'approche du village de La Capelle, entre le 30 aout et le 1er septembre 1944 

Abandonné, le Tiger de Zahner se trouve le long de Nationale 2 où il est dégagé manu militari par les engins américains. Le char est alors basculé dans le champ en contrebas et se retrouve sur la tourelle ! Il restera dans cette position pendant de longs mois. 

Le Tiger "121" de Zahner a été renversé sur le bord de la route. On voit quelques obus du char aux pieds de l'Américain . 

Le 16 décembre 1944, les Britanniques du REME (Royal Electrical and Mechanical Engineers) se chargent de remettre le Tiger sur ses chenilles, une tâche ardue lorsque l'on connait le poids de la bête. Deux jours plus tard, il est chargé sur une remorque d'un camion et emmené en direction de Amiens, puis Le Havre où il est remis aux Américains.

Le Tiger "121" de Zahner quitte La Capelle pour les USA

Ces derniers récupéreront également plus tard le Tiger B "332" à l'issue de la bataille des Ardennes. Notre "121" est chargé dans un cargo, et part pour Aberdeen proving ground dans le Maryland.

Le "121"sur son lit de cailloux à Aberdeen . La pâte Zimmerit commence à souffrir mais notons tout de même l'insigne de la s.SS-Panzer-Abteilung 101 sur le glacis avant ainsi que la Balkenkreuz peinte sur le côté de la caisse, certainement par les Américains puisque celle-ci était à l'origine sur la tourelle. En médaillon, toujours à Aberdeen, le même "121" à côté d'un Panther. La photo a été prise quelque temps après, puisque le garde-boue avant gauche est manquant.  

 

De retour en Allemagne 

 
Au début des années 60, la RFA (l'Allemagne de l'Ouest) tente de récupérer quelques-une de ses pièces  historiques, la Norvège offre le U-Boot U-995 et les Etats-Unis le Tiger B de Zahner mais ils gardent le "332". Quelques mois plus tard, les britanniques cèdent un Jagdpanther puis c'est au tour du Panther, etc.
Notre Tiger est donc chargé dans un cargo aux Etats-Unis, puis expédié au port de Bremerhaven, en Allemagne, en décembre 1960. 
 
Décembre 1960. Le Tiger B est de retour en Allemagne, il va être chargé sur un train

Le char nécessite toutefois quelques réparations, notamment sur la caisse, le train de roulement et la tourelle, qui est restaurée par Rheinmetall. Le moteur n'est plus dans son compartiment, il n'est donc plus en état de rouleril ne l'était déjà plus en 1944.

Dans les années 1960, il n'était pas question de faire entrer le Tiger au musée, car celui-ci n'existait pas encore. Les blindés actuellement exposés au musée étaient éparpillés dans plusieurs casernes. Dans les années 1970, le Tiger B était aligné avec d'autres blindés le long d'une allée d'une caserne,la Kampftruppenschule 2, entre les arbres. Le vieux char assistait de temps à autre à quelques cérémonies auxquelles participaient des vétérans, qui se tenaient devant le colosse. Les civils, de plus en plus nombreux, voulaient eux aussi voir ces monstres d'acier. Ils le pouvaient, mais seulement à des heures restreintes, car après tout, ils se trouvaient tout de même dans une enceinte militaire. 

Durant les années 70, le Tiger qui a retrouvé un frein de bouche est exposé le long d'une allée au sein de la Kampftruppenschule 2. Le char a été débarrassé de sa Zimmerit.
 
Le 22 septembre 1983, le Panzermuseum est officiellement inauguré, mais il est alors nettement plus petit que celui que nous connaissons aujourd'hui. Notre Tiger y trouve sa place, bien abrité et préservé, et 8 000 visiteurs lui rendent visite la première année.
Aujourd'hui, les vétérans ont disparu, et ce sont désormais les nouvelles générations, allemandes et étrangères, qui viennent rendre hommage au colosse de près de 70 tonnes.

Le Tiger n'est plus numéroté « 121 » mais « 321 », un chiffre qu'il partage avec le Plastiger Ausf. E exposé quelques mètres plus loin. 

Le Tiger "321" en 1982 avec sa peinture "Ambush", les galets sont peints sur cette même base, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

 

Et maintenant au musée...mais en "321"

 
 
Le musée de Munster a dans ses halls une très belle collection de blindés allemands, la partie consacrée à la seconde guerre mondiale est impressionnante, du moins pour la partie allemande. Je jubilais de voir un véritable Hetzer, et non pas un énième G13 trafiqué. Que dire également de ce magnifique Panther ou de ce curieux PlasTiger dont la réalisation est techniquement impeccable. On tourne autour de ces monstres d'acier (ou de fibre), on prend mille photos y compris de cette superbe voiture blindée des années 1920 qui me rappelle les années de lutte du NSDAP ou plus récemment un épisode de la série Babylon Berlin (Charlotte Ritter !!). Et maintenant arrêtons les bavardages et place au Tiger B !    
 
Sur un Tiger B tout est impressionnant, le long canon que l'on aurait bien vu dans les plaines d'Ukraine ou de Russie. 

Le Tiger a retrouvé un frein de bouche qui manquait depuis 1944. La tourelle est dans la même position que lorsque le char était sur le dos.
 
Sur le glacis, nous remarquons l'insigne de l'Abteilung qui était à l'origine à gauche tandis que le losange (signe tactique des panzers) avec le "S" pour "Schwere" et le petit "1 "désignant la Kompanie était à droite. 

Zoom sur le glacis avant, le char a été repeint depuis 1982, il lui manque tout de même la fameuse Zimmerit.  

Le chiffre "321", la 3.Kompanie, côtoie l'insigne de la s.SS-Panzer-Abteilung 101, les passes-partout croisés. 

Les garde-boue avant et jupes latérales ont été reconstruits et c'est très bien ainsi
 
Dans les années 1980, le camouflage du Tiger était différent car il reprenait celui vu durant la bataille des Ardennes, le "Ambush". 

Le train de roulement est différent du Tiger E

Dès février 1944, les Tigern ont reçu des échappements courbés à leur extrémité. Une méthode permettant de dissiper la chaleur qu'ils dégageaient vers le moteur.


Pour soulager un peu le panzer de son poids des cales de bois ont été installées sous la caisse. Les barres de torsions sont ainsi ménagées. 

Dans les années 1980, le numéro "321" était à côté de la Balkenkreuz mais c'était avant que la Tiger ne se fasse repeindre. Noter la trappe arrière de bonne épaisseur qui n'est plus circulaire que celle du Tiger E. 

Le Tiger est bien équipé, nous voyons son câble de remorquage, la petite caisse à l'arrière mais aussi l'épaisseur de la plaque latérale qui protège les réservoirs d'essence placés derrière

Sur la tourelle du Tiger B il n'y a plus les ergots de levage que nous pouvons voir sur le Tiger E mais des support de maillons de chenilles, une amélioration qui a été apportée en cours de production en juin 1944. 

 Le Tiger B a connu une brève carrière mais reste tout de même une figure incontournable de la bataille des Ardennes mais aussi de la bataille de Berlin

Où voir un autre Tiger B ?

En France, nous avons bien de la chance car il n'y a pas besoin de franchir la Manche ou le Rhin pour voir un Tiger Ausf B puisqu'il y en a un au musée des blindés de Saumur. L'historique du char est connu mais il faut savoir que contrairement à celui de Munster, le "300" a été reconstitué à l'aide de deux chars, malgré cela il a un énorme avantage sur son homologue teuton, il roule avec son Maybach. 

Le Tiger B "300" exposé au musée des blindés de Saumur
 
 

Sources

 
Chronik der Lehrsammlung de Panzertruppen und der Heeresaufklärungstruppe am Ausbildungszentrum Munster
Tiger ! Album mémorial Editions Heimdal
Tiger I und II de Horst Scheibert
Waffen Arsenal n°127 de Horst Scheibert
King Tiger de Tom Jentz, Hilary Doyle, Peter Sarson

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