Alors que j'étais à Köln pendant deux jours, mon tourisme ferroviaire m'emmène à Berlin à bord d'un ICE, l'Intercity Express comparable à notre TGV mais en plus propre. A l'instar de Jason Bourne, j'arrive à la gare Hauptbahnhof, pass métro en main, direction l'appartement loué pour l'occasion. Le lendemain, j'ai prévu de me rendre à l'ancien aéroport de Tempelhof.
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L'arrivée à l'aéroport se fait de manière majestueuse pouilleuse |
Le Flughafen Tempelhof
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Le Flughafen en travaux |
Jusqu'à la fin du 18e siècle, le futur terrain d'aviation n'était, on s'en doute, que des champs agricoles appartenant aux fermiers du village de Tempelhof. Au siècle suivant, des défilés militaires y sont organisés, la victoire de 1870 y est célébrée. Les premiers ballons commencent à se poser puis vient le temps des marguerites avec des inventeurs et leurs avions faits maison. Au début du 20e siècle, on ne parle pas encore d'aérodrome ni d'aéroport puisque le terrain appartient à l'armée.
Après la fin de la première guerre mondiale, le quartier de Tempelhof se modernise, on y construit de nouvelles habitations, des rues. A cette occasion, le vaste terrain va être lui aussi aménagé puisqu'il est décidé d'y créer enfin un aérodrome.
Comme les trains d'atterrissage sont un peu rudimentaires, il est nécessaire de faire pousser de l'herbe mais un problème se pose rapidement, la qualité du sol est suffisamment médiocre pour que rien n'y pousse. Des tonnes d'engrais sont alors déversées et l'herbe commence enfin à jaillir du sol. En guise de tondeuse, une armée de moutons est recrutée, les braves bêtes finiront un jour ou l'autre dans l'assiette.
Le 8 octobre 1923, l'aéroport est mis en service et dès la première année il compte déjà 100 atterrissages et décollages pour un total de...150 passagers. Dès la fin des années 20, la technologie, la fiabilité a progressé et le nombre de passagers est en augmentation constante puisqu'on compte 200 000 passagers en 1934 mais l'aéroport est devenu trop petit et peu pratique, il faut que cela change.
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L'aéroport en 1930, son accès se faisait par la Columbiadamm. Nous pouvons voir les grandes antennes radio et des appareils de la Luft Hansa. |
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Sur cette photo nous voyons la disposition du nouvel aéroport et de l'ancien aéroport |
Avec l'arrivée du NSDAP au pouvoir, Adolf Hitler grand passionné d'architecture, donne l'ordre d'agrandir l'aéroport. Avec ses esquisses et ses idées, il confie la réalisation du futur Flughafen à l'architecte Ernst Sagebiel (1892-1970). L'élaboration des plans, de la planification commencent dès 1935.
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La maquette originale, les arbres en moins |
Les grand travaux débutent en mai 1936, le terrain passe de 100 ha à 400. Le gros oeuvre est fait en 18 mois seulement. De nombreux éléments, comme les façades en béton sont préfabriqués et recouvertes de dalle de calcaire coquillier jaune et jurassique clair. Mais ce n'est pas pour autant que l'aéroport est à l'arrêt, alors que les travaux débutent, une vingtaine de Junkers Ju-52/3m décollent de Tempelhof pour rejoindre Séville en Espagne et le Maroc espagnol. Pilotés par du personnel de la Luft Hansa, qui peuvent être aussi de officiers de réserve de la Luftwaffe comme Alfred Henke, leur mission est de rapatrier les troupes franquistes du Maroc vers l'Espagne, voir même d'attaquer et de couler le cuirassé républicain "Jaime Primero".
Avec la modernisation de l'aéroport, d'importants travaux de voiries, de destructions d'habitations devaient être réalisés dans Tempelhof. Par exemple sur les plans initiaux, l'entrée du Flughafen est situé dans l'axe du Viktoriapark et de son fameux Denkmal dédié à la victoire sur Napoléon. Une petite cascade d'eau devait s'écouler jusqu'à l'actuelle Platz der Luftbrücke. Le projet n'a jamais été réalisé mais le résultat aurait été assez joli.
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Avec ce trait jaune depuis le Denkmal du Viktoriapark on comprend mieux l'idée de l'architecte. Il n'y avait que 400 mètres. |
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L'accès à l'aéroport tel qu'il devait être. Tout ne fut pas réalisé, l'aile droite n'a pas été totalement construite tout comme les deux obélisques et le bassin aquatique avec l'eau venant du Viktoriapark. |
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Le charmant Viktoriapark et son Denkmal. Il y a une petite cascade mais celle-ci est en direction de Stadtmitte. Une visite le matin s'impose. |
Le 26 août 1939, l'aéroport est pris en main par la Luftwaffe et placé Luftgau-Kommando III (Berlin) sous le commandement du major général Hubert Weise. Le 30 août, les vols civils sont interrompus. Dès le début de la seconde guerre mondiale, les matières premières mais aussi les hommes sont mobilisés et les travaux de l'aéroport accusent un net ralentissement. En 1943, économie de guerre oblige, ils sont totalement arrêtés et ne reprendront plus, comme le reste des grands projets architecturaux du Reich.
La Weser Flugzeugbau
Inactif, le RLM donne l'ordre de transformer l'aéroport en usine d'avions. Dès 1941, la Weser Flugzeugbau GmbH (WFG) y assemblent sous licence les fameux Junkers Ju-87 "Stuka" d'ailleurs Tempelhof assemblera 1960
appareils jusqu'à l'arrêt de la production en octobre 1944,
cela représente tout de même les 2/3 des Ju-87 construits.
Pour l'occasion, des baraquements en bois sont crées pour loger les travailleurs pas
vraiment volontaires. Au début, il y a de nombreux Polonais auquel s'ajoute plus tard des STO
Français et d'autres nationalités. Le nombre de travailleurs est évalué à environ 5 000 personnes.
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1943. Des baraquements en bois ont été construits pour les travailleurs. Situé à droite sur le terrain,nous apercevons l'ancien aéroport. |
Les bombardements anglo-américains s'intensifient sur la capitale. En 1944, les ateliers sont déplacés dans les tunnels situés en-dessous de l'aéroport. On y assemble maintenant le Messerschmitt Me 262, on converti des Heinkel He 111 et Ju 86, des Focke Wulf Fw 190 y sont réparés et enfin on étudie la future production de l'hélicoptère Fa 223.
Fin de guerre
Malgré les bombes lâchées depuis le ciel, l'aéroport résiste assez bien puisqu'il a été conçu pour cela dès sa construction. Dans les derniers jours de la guerre, le directeur de l'aéroport, le Major Rudolf Böttger (1887-1945) reçoit l'ordre de détruire totalement l'édifice. La tâche s'avère impossible et Böttger ne peut exécuter l'ordre, finalement le Major ne survit pas à la guerre, il a préféré le suicide d'une balle dans la tête.
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Dans les derniers mois de la guerre, l'aéroport n'est pas gravement endommagé. Sur cette vue aérienne, l'aspect circulaire est bien visible, tout comme l'ancien aéroport d'avant 1936. |
Le 20 avril 1945, un Junkers Ju 52 s'envole de la piste, c'est le dernier avant la chute de Berlin. A destination de Prague, de Enns ou de Linz (les avis divergent on l'aura compris) l'avion n'a jamais atteint sa destination puisqu'il se fait abattre par les Russes à Buckow à environ 70 km de la capitale allemande. Parmi les passagers, qui ne compte qu'un survivant, il y a Hans Steinhoff le réalisateur du film "Hitlerjunge Quex". Sa tombe est à Steinreich Glienig.
Le 26 avril, alors que le SS-Sturmbataillon "Charlemagne" passe à la contre-offensive dans le quartier de Neukolln, une de ses compagnies, la 1. celle de Labourdette est positionnée dans le secteur nord-est de l'aéroport mais face à la pression soviétique, il est ordonné de décrocher dans la journée. L'aéroport tombe aux mains de l'ennemi.
Les Soviétiques récupèrent les machines-outils de la Weser Fluzeugau tandis que les avions allemands sont empilés à l'extérieur, ils seront recyclés. Bientôt des avions à l'étoile rouge se posent sur Tempelhof.
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Les épaves d'un Me 262, d'un Me 109 ont été rassemblés par les Soviets. Les avions vont certainement être fondus, le métal coulé sous forme de lingots. C'étaient de belles pièces de musée, Il y en a pour de l'argent surtout maintenant. |
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Les carcasses de Fw 190 ont été déposées par les Soviétiques lorsqu'ils ont vidé les ateliers. A l'arrière plan, nous pouvons voir des Sturmoviks à l'étoile rouge. |
En 1946, Berlin-Tempelhof est de nouveau ouvert à l'aviation civile. En 1975, les lignes aériennes sont toutes transférées à Berlin-Tegel et Tempelhof n'est plus utilisé que par les avions militaires de l'armée américaine. En 1980, quelques avions civils de la Tempelhof Airways USA y font timidement leur retour jusqu'en 1990. Avec la chute du mur de Berlin, l'aéroport reprend du service mais la rentabilité n'est plus au rendez vous et en octobre 2004, l'aéroport ferme définitivement. De nos jours, les pistes sont devenues un lieu de promenade.
Ma visite de l'aéroport
J'ai effectué la visite en deux temps, les pistes le matin et les bâtiments en début d'après-midi. Naturellement entre les deux je me suis offert des curry-wurst avec une Berliner Kindel Weisse Waldmeister (à l'aspérule), pour ceux qui connaissent, Ich mag Ich mag !
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Voici l'entrée principale de l'aéroport |
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Le 6 janvier 1926 à Tempelhof a été fondée la Deutsche Lufthansa AG. Sur cette plaque nous apprenons aussi que c'était aussi le siège administratif de la flotte de la compagnie de 1938 à 1945. En 2015, la Lufthansa est revenue à Berlin avec près de 500 employés. |
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1939. Après l'exploit de Scapa Flow, les avions, Condor et Ju-52 amènent l'équipage du U-47 de Günther Prien à Berlin. Nous sommes sur l'ancien aéroport dont les infrastructures sont encore utilisées remarquons la devanture de la fameuse compagnie aérienne allemande. |
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L'imposant bâtiment principal, le hall d'accueil |
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La patte de l'architecte du RLM Ernst Sagebiel est ici bien visible. L'aigle est de Walter Lemcke qui a travaillé sur ceux du RLM |
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Petite comparaison entre les angles du Flugafen Tempelhof et du RLM situé dans le centre ville de Berlin. Dans l'idée de l'architecte, les rez de chaussé sont quasiment identiques. |
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Gros plan sur l'un des aigles. Walter Lemcke (1891-1955) a aussi réalisé les aigles du Reichsluftfarhtministerium. |
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Walter E.Lemcke travaille sur la cloche du Berliner Dom, de la cathédrale. Il est aussi l'auteur de la célèbre cloche du Reichssportfeld et de la flamme olympique. |
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Lors de ma visite on distinguait encore les traces d'impacts, mortiers ou obus |
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Au dessus de bâtiment principal trône le piedestal qui accueillait l'aigle monumental dessiné par Lemcke |
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L'intérieur du hall principal dessiné par Sagebiel. Il fait 18 mètres de haut. |
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Le même hall qui était officiellement fermé au public mais comme j'ai rusé j'ai pris une photo. |
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L'Allemagne et ses planeurs, une vieille histoire |
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Une allée couverte qui peut être pratique par temps d'orage, Berlin reste Berlin |
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Détail sur l'éclairage d'une allée |
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Le musée Polizeihistorische Sammlung est situé sur une des ailes près de l'accueil. Lors de la visite du musée je n'ai malheureusement pas vu la policière Charlotte Ritter de "Babylon Berlin" |
La Adlerkopf
Sculpté dès 1939 puis réalisé en acier coulé, l'aigle qui faisait 4,50 mètres de haut a été posé en 1940 sur le haut du bâtiment principal, sa stèle est d'ailleurs encore bien visible. L'aigle de Lemcke était debout, les aigles déployées et la tête tournée vers la gauche, ses griffes enserrant un globe. Retirée par les Américains en 1962 pour laisser place à un radar, la statue est démantelée et la tête prend ensuite la direction du musée de l'armée américaine de Wespoint et elle y restera jusqu'en 1985 date à laquelle un avion de l'US Air Force la ramène. La tête, Adlerkopf en allemand, a été installée dans le square en 1985.
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Carte postale d'après-guerre avec l'aigle laissé en place par les Américains |
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Sincèrement la place ne ressemble plus à rien |
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Un aigle décapité, quel dommage de ne pas avoir gardé la statue dans son intégralité |
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Le socle est minable et l'aigle a vraiment perdu de sa superbe |
Les pistes
J'ai visité les pistes très tôt le matin, la chaleur était annoncée dans la journée. Celles-ci sont ouvertes au public donc ne vous étonnez pas d'y trouver des vélos.
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L'aéroport s'étend sur 284 000 m2, mine de rien il va falloir marcher |
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Les sous-sols de l'aéroport comprenaient, une usine d'avions, des abris anti-aérien et une centrale électrique |
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Faire du vélo sur une piste d'aéroport, c'est plus rapide qu'à pieds |
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Il reste encore des inscriptions en anglais notamment au-dessus du "Berlin-Tempelhof". Nous sommes juste derrière le grand hall d'accueil que nous avons vu plus haut. |
Nous pouvons voir aussi
Avec les bombardements et la bataille en elle-même, il n'y avait plus d'espace suffisant dans les cimetières du centre-ville. Des civils et des soldats morts ont donc été enterrés dans
de nombreux endroits comme par exemple les jardins et parcs publics ainsi que dans les jardins des hôpitaux de Sankt Josef et Wenckebach.
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L'hôpital de Sankt Josef qui a vu mourir de nombreuses victimes de la bataille de Berlin |
En 1952, pour des raisons de santé et d'hygiène, il est décidé de transférer près de 600 dépouilles au cimetière de Heidefriedhof à Berlin-Mariendorf, notamment les hommes des Reserve-lazarett 111 et 122, il y aussi une fosse commune où reposent 70 victimes non identifiées.
Vous pouvez vous rendre au bloc A tombe 69, vous y trouverez la jeune Berlinoise Ruth Schmidt
âgé de 20 ans seulement. Elle était krankenschwester, infirmière d'un hôpital,
lorsqu'elle est morte le 29 avril 1945, victime des combats ou bien massacrée par les Soviets ? En tous cas, une pensée pour cette jeune femme.
Il y a aussi le Gefreiter Oswald Böckling, mort le 23 avril 1945 à l'âge de 18 ans, bloc B tombe 212. Le Matrose Heinz Hermann Burgdorf, 19 ans au bloc B tombe 21 et le SS-Grenadier Werner Wolf, 19 ans décédé le 5 mai 1945. Il repose au bloc B tombe 301
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